Les premiers vols

La campagne d’essais

Le lundi 5 août, Christophe Marchand, le pilote d’essai, arrive. L’avion nécessite encore beaucoup de travail et de réglages pour être prêt pour la traversée. Malgré tout, le jeudi, le premier roulage au moteur est réalisé. Malheureusement, la béquille en bois casse au premier soubresaut. Refaite dans un bois plus solide et l’amortissement assoupli l’avion est préparé pour son premier décollage, le vendredi 9 août. Vers 19 h, l’avion est bon pour vol, Christophe monte à bord, il part sous l’œil de tous les membres de l’association. Arrivé en bout de piste après un dernier essai de roulage, l’avion est contrôlé par l’équipe avant d’être autorisé à voler. Là, catastrophe, les roues ont pris un angle digne des R8 Gordini de l’époque. Le vol est annulé, il faut voir ce qu’il s’est passé. Le MS G revient piteusement au hangar ; l’équipe est anéantie. Après démontage des sandows du train, l’explication est vite trouvée. Une pièce de ce magnifique train a plié.

Samedi 8 h, des pièces sont préparées pour renforcer le train. À 16 h tout est soudé. L’avion est minutieusement préparé par l’équipe. Vers 19 h, il est décidé de faire un roulage en vue du premier vol. Un essai sur la piste en herbe permet de vérifier que la réparation tient et que le train ne se déforme plus. À 20 h 47, Christophe met les gaz et, très rapidement, le MS G décolle, dans une magnifique lumière de soleil couchant, suivi par le Piper qui sert d’avion d’accompagnement. L’émotion est à son maximum et les larmes de joie ne sont pas loin. Après une quinzaine de minutes de vol, l’avion se présente à l’atterrissage et se pose comme une fleur. Retour au hangar sous les applaudissements et gros ouf de soulagement de toute l’équipe. Nous fêtons dignement l’événement. Le débriefing se fait aussitôt. Il reste encore du travail pour que l’avion soit prêt, mais une étape importante a été franchie.

Pendant tout le reste du mois d’août, les vols de mise au point et d’ouverture du domaine vont se poursuivre. Le saute-vent est mis en place ainsi que le réservoir arrière, avec le système de transvasement qui assurera l’autonomie nécessaire pour la traversée prochaine. Trois pilotes vont se succéder aux commandes, Nils, Frank et Hervé. Petit à petit tout est défriché et, fin août, le premier vol d’endurance est réalisé. Trois heures au-dessus de la campagne gersoise.

Septembre arrive, les vols continuent et Baptiste Salis vient essayer l’avion. C’est lui qui fera le vol de la traversée. Du coup, il se voit confier le vol de 6 h. Tout va bien. Dernière amélioration : une pompe scavenge est installée pour réduire la consommation d’huile. Le 14 septembre, le MS G part à destination de Fayence où il attendra le dernier moment pour rejoindre Fréjus. L’avion est fin prêt pour la traversée, la consommation d’huile est insignifiante et l’essence est suffisante pour plus de 10 heures de vol.

En vol avec le Morane

Encore à l’état de prototype, le Morane-Saulnier type G peut paraître fragile mais c’est une fausse impression. Bien proportionné, il paraît léger mais la solidité de la construction « bois et toile » n’est plus à prouver. Un des problèmes de l’assemblage fut le réglage de la tension des câbles tenant les ailes et servant au gauchissement. Aucune valeur d’époque ne fut retrouvée et tout dut se faire avec le bon sens lié aux vols : il fallait combiner une aile bien tenue et libre à la fois.

Pour monter dans l’avion, pas d’échelle : on monte sur un escabeau et, après un peu de gymnastique, nous voilà installé. L’habitacle est assez vaste. En fait, c’est un biplace (disons une place et demie). Tout est très simple à bord, surtout au début de l’aventure. Un manche, une manette de gaz, ou plutôt un bout de manche à balai, et quelques instruments qui fonctionnaient ou pas…

Les premiers vols se sont déroulés comme à l’époque : pas de badins, des instruments moteur que l’on adaptait, une radio capricieuse… Bref l’aéronautique des débuts ! Si aujourd’hui tout est automatisé, électrifié, standardisé, les pieds en l’air ou sur terre, le Morane est une redécouverte de l’aéronautique et un retour au bon sens paysan de l’époque.

Une fois à l’intérieur, la mise en route est simple. On verse une seringue d’essence sur le filtre à air du carburateur, on met les deux circuits d’allumage sur « on » et on fait signe au démarreur (homme qui brasse l’hélice) qu’il peut tenter la mise en route avec un bon coup de bras et de reins. Les bons jours, cela démarre du premier coup, les autres jours… sueur et crispations. Après quelques explosions, les cylindres finissent par s’accorder et le son de ce moteur en étoile à échappement libre devient agréable et régulier.

Le roulage ne pose pas de problème malgré la béquille arrière, à condition de respecter le traditionnel palonnier dans le sens du virage, manche au tableau et gauchissement inverse au virage.

Aligné sur la piste, on met plein gaz, l’avion n’ayant pas de freins, et le Morane roule rapidement. La queue se lève sans problème au bout de quelques secondes. En poussant sur le manche, vers 70 km/h, l’avion sautille – signe qu’il est prêt à voler – et en amenant le manche souplement au neutre, l’avion décolle en ligne de vol. Et là, c’est le bonheur, attaché seulement par une ceinture, la tête au vent avec cette impression de voler assis sur un oiseau.

Pour la vitesse maximale, pleins gaz en descente, on sent la toile des ailes se tendre, le gauchissement durcir et, vers 110 km/h, la vitesse ne monte plus, l’avion commence à donner des signes de limites de vol (vibrations, petites instabilités, bruits aérodynamique…). Il est temps de réduire, de remonter le nez doucement et de revenir à sa vitesse idéale de 100 km/h. Les commandes de vols sont homogènes à la vitesse de croisière. La profondeur et la direction sont souples et précises pour un avion de cet âge. En roulis, sans vent, à vitesse normale, le gauchissement est assez souple pour ce type d’aile sans aileron (c’est l’aile qui en se vrillant, grâce aux câbles au-dessus et en-dessous du fuselage, permet le virage de l’avion). C’est la prouesse des constructeurs de Réplic’Air d’avoir entoilé l’aile comme à l’époque : la toile à 45 degrés et un minimum de produits et peinture pour la garder souple.

Lors des essais à grande vitesse, les actions sur les commandes deviennent musculaires, ce qui est dû à l’importante surface à gauchir. En turbulence, le gauchissement de l’aile est moins souple et précis qu’avec des ailerons et l’avion sautille, vit avec les rafales et le vent.

L’approche pour l’atterrissage se fait comme à l’époque, avec un filet de gaz et une bonne pente. Pour raccourcir la distance d’atterrissage, on réduit en courte finale une fois le terrain assuré. Cette méthode permet de garder un niveau de sécurité nécessaire, en cas de panne moteur lors de la finale, pour se poser sur le terrain… et non dans la mare ou le fossé à l’entrée de la piste. Les pannes moteurs étaient courantes à l’époque des débuts de l’aviation et les atterrissages dans les champs également.

Pour l’arrondi et l’atterrissage, on se présente comme pour un avion classique. Petit palier, on refuse le sol, atterrissage – sans problème – et on pose tranquillement le patin arrière. Là… méfiance : sur une plage de quelques kilomètres/heure, l’avion a tendance à partir en 180° ou 360° – selon l’énergie – sans possibilité de contrer. La première fois, on est surpris… par la suite cela devient même amusant car, à faible vitesse, l’avion ne risque rien (à condition d’avoir une piste large). La direction a tendance à être sous-dimensionnée : lors de la mise trois points à l’atterrissage, celle-ci est masquée par le fuselage. Passée cette vitesse, l’avion redevient contrôlable et le retour au parking ne pose aucun problème.

En conclusion, le MSG est un avion réussi pour son époque qui nous permet de revivre les problèmes de l’aéronautique du début du siècle dernier. Une école d’humilité pour tous dans un monde où l’aéronautique de loisir a tendance à vouloir suivre la voie des grands. Bien étudié et bien construit, l’avion est sain et stable, ce qui est une prouesse au vu des connaissances aérodynamique de l’époque. Seule la direction mériterait d’être un peu plus grande et efficace. En vol, son entoilage translucide fait apparaître la structure de l’avion, ce qui réjouit les spectateurs et met en valeur la beauté et la construction de l’appareil.

La grande satisfaction, en tant que pilote, est aussi de voir, au retour du vol, la joie et la légitime fierté de l’équipe qui a étudié et construit cet avion.