Un peu d’histoire

Le Morane G en 1912

Développé en 1912 en même temps que le type H, le type G fut présenté au Grand Palais en décembre 1913 pour le 5e Salon de la locomotion aérienne. Appareil monoplan, voisin du type H, mais biplace et avec une surface alaire de base de 16 m2. De nombreux types dérivés ont existé,  toujours baptisés G.

Comme le type H, ce monoplan est construit en bois et toile avec un fuselage de section rectangulaire, cadres croisillonnés de fil d’acier appelés cordes à piano. Les empennages , horizontal et vertical, sont monobloc donc sans plan fixe. Le poste d’équipage est unique, c’est-à-dire que les deux aviateurs disposent d’un seul siège comme celui d’une moto, le passager étant à califourchon, très proche du pilote et peu libre de ses mouvements.

En 1914, Morane–Saulnier propose deux versions :

  • le GA de 14 m2 avec un moteur rotatif Gnome Sigma de 60 ch ou Le Rhône 7B de 60 ch.

  • le GB de 16 m2 avec un moteur rotatif Gnome Lambda de 80 ch ou Le Rhône 9C de 80 ch.

Avant les hostilités, une quarantaine d’exemplaires a été fabriquée et vendue à l’étranger. Aussitôt après la déclaration de guerre, l’armée française a commandé des MS-G à moteur Gnome qui ont été intégrés dans l’escadrille 31 (comme le type H) et une douzaine avec moteur Anzani de 35 ch pour les écoles de pilotage.

Toutes versions confondues, y compris la version hydravion, on peut estimer qu’il y a eu environ une centaine de Morane-Saulnier type G fabriqués. Un exemplaire du MS-G a servi pour les débuts de la mise au point du tir à travers l’hélice en 1914. Cette invention de Raymond Saulnier a été perfectionnée avec la collaboration de Roland Garros et de son mécanicien Jules Hue sur un Morane-Saulnier type L « Parasol » en 1915.

Le monoplan Morane-Saulnier est aussi solide que les appareils qui ne se piquent d’être solides, aussi vite que ceux qui se vantent d’être les plus vites, aussi léger en vol que ceux qui ont tout sacrifié à la légèreté.

Marcel Brindejonc des Moulinais

Caractéristiques principales (variables selon les versions) :

  • Motorisation : rotatif Gnome Sigma de 60 ch de base ou Lambda 80 ch, Le Rhône de 60 ou 80 ch, Anzani 35 ch plus quelques autres

  • Envergure : 9,20 m à 10,20 m

  • Longueur : 6,40 m à 6,50 m

  • Surface alaire : 14 m2 à 16 m2

Roland Garros

Roland Garros naît le 6 octobre 1888 à Saint Denis de La Réunion, d’un père toulousain et d’une mère bretonne.

Une fois finies ses études à Paris, il se tourne vers l’automobile et ouvre « Roland Garros automobiles voiturettes de sport » en 1909. Ce n’est qu’à l’été 1909 que Roland Garros se tourne vers l’aéronautique, lors de la Grande Semaine d’aviation de la Champagne qui a lieu près de Reims.

Autodidacte, il se forme au pilotage avec l’aide du Suisse Edmond Audemars sur l’aérodrome d’Issy-les-Moulineaux à bord de son aéronef, une Demoiselle-Santos Dumont. Il obtient son brevet de l’Aéroclub de France le 19 juillet 1910.

Dès lors, il participe à son premier meeting Belmont Park à New York.

Il y rencontre John Moisant, qui lui propose une tournée au sein de ses exhibitions aériennes, le Moisant Circus. Cette tournée lui permet de voler quasiment tous les jours aux côtés de René Simon, René Barrier et Edmond Audemars. Il traverse les États-Unis, le Mexique et rejoint Cuba.

De retour en Europe en 1911, Roland Garros se tourne vers les courses. Durant cette année, il s’illustrera sur trois grandes courses La course de l’aviation : Paris–Madrid, Paris–Rome et le Circuit européen. Arrivant toujours à la deuxième place, il sera surnommé « l’éternel second » par la presse de l’époque. Cependant, l’année 1911 n’est toujours pas achevée que « l’éternel second » bat le record d’altitude de vol à 3 950 m. Roland Garros repart fin 1911 pour une tournée en Amérique du Sud. Il pilote son Blériot XI et réalise la première traversée de la baie de Rio ainsi que le premier vol de Sao Paulo à Santos avec un sac postal.

Cette tournée lui aura permis d’être un nom respecté en Argentine.

De retour d’Amérique du Sud, il renoue avec la compétition et participe, les 16 et 17 juin 1912, aux épreuves du Grand Prix de l’Aéro-Club de France à Angers à bord de son Blériot 50 ch. Il est alors le seul à terminer les 1 100 km en 7 vols. « L’éternel second » devient alors le « champion des champions ».

Le 23 septembre 1913, Roland Garros réalise la première traversée de la Méditerranée sans escale. Il relie Fréjus à Bizerte en 7 h 53 min, 800 km avec 200 litres d’essence. Cette traversée le rend encore plus populaire.

Roland Garros s’engage ensuite comme pilote de guerre. Il met au point le premier chasseur monoplan de l’histoire armé d’une mitrailleuse.

Il meurt au combat le 5 octobre 1918.

Bien que son nom soit de nos jours lié au monde du tennis, Roland Garros possède sa place parmi les plus grands pionniers de l’aéronautique.

La Traversée de la Méditerranée

Cette traversée est le nouvel exploit à accomplir. En 1909, Louis Blériot avait traversé la Manche aux commandes de son Blériot type XI. Son courage fut salué aux quatre coins du monde. En 1911, le lieutenant Bague veut relier la France à ses colonies et s’élance de Nice en direction de l’Algérie à bord d’un Blériot. Déporté par le vent d’ouest, il réussira à se poser sur une petite île au large de l’Italie. Son deuxième essai, trois mois plus tard, sera son dernier : il est porté disparu dans la mer Méditerranée. Deux ans plus tard, Garros, fort de ses succès lors des courses aéronautiques, décide de tenter ce que personne n’a réussi à faire. Il avait, en 1912, franchi la distance Tunis (Tunisie)-Marsala (Sicile). Le moindre petit problème lors du vol pourrait entraîner la chute de l’avion et la mort du pilote.

Le 23 septembre 1913, Roland Garros, 25 ans, sportif accompli ayant déjà à son actif plusieurs records aéronautiques, décollait de Fréjus (France) à 5 h 47. Son monoplan Morane-Saulnier type G, équipé d’un moteur Gnome de 60 chevaux et d’une hélice Chauvière, était alourdi de 200 litres d’essence et de 60 litres d’huile de ricin. L’équipement de bord était des plus sommaires. Il n’avait, pour suivre sa route, qu’une vulgaire boussole. Par sécurité, les conditions météorologiques étant favorables, il avait décidé de survoler la Corse et la Sardaigne. Cette précaution faillit lui servir car son appareil connut deux pannes au-dessus de ces îles. Il put néanmoins continuer son voyage et, après avoir parcouru 780 km en vol pendant 7 heures et 53 minutes, se posa à Bizerte à 13 h 40. Initialement, l’atterrissage était prévu à Tunis, où l’attendait une foule, mais… il lui restait seulement 5 litres d’essence dans le réservoir. Exploit réussi, il est la première personne à rejoindre deux continents par la voie aérienne.

Roland Garros commente lui-même les deux avaries de son moteur qui auraient pu lui coûter son exploit et peut-être la vie :

Un examen superficiel me révéla deux avaries. À la tête d’un cylindre manquaient un ressort de rappel et son support. La force centrifuge avait suffi au fonctionnement de la soupape. Mais la masse en rotation s’était trouvée déséquilibrée et la trépidation aurait pu entraîner d’autres ruptures. Déjà, après Cagliari, un axe de culbuteur s’était fendu en long, une moitié de la pièce avait sauté, l’autre s’était coincée à sa place. Mon salut n’avait tenu qu’à l’adhérence de ce bout de fer.

Roland Garros écrivait aussi sur sa navigation à la boussole et de l’aide qu’il avait reçue de trois torpilleurs alors qu’il commençait à être à court d’essence et guettait anxieusement la côte :

Plus que vingt litres, environ une heure de vol. Où est la terre ? Peut-être suis-je immobilisé par un vent contraire ?

Rien n’indiquait mon déplacement. Je me brûlais les yeux à découvrir la côte à travers les nuages. Peine perdue. Je ne la reverrai qu’en y arrivant ou jamais. Ce niveau d’essence comptait, comme un sablier, les dernières minutes de l’épreuve. Quel serait le dénouement ? Tragique, radieux ? Plus que trente de ces minutes étranges, intoxicantes, pleines de lucidité intense, presque de bien-être.

Je calculai pour la dixième fois peut-être ce qui devait rester dans mon réservoir. Le calcul confirmait invariablement le chiffre du niveau, je l’avais gradué moi-même à Villacoublay.

Trois torpilleurs. Sauvé… Sauvé… Cette certitude soudaine me jaillit au cerveau, m’inonda de chaleur. Ce n’étaient que trois points noirs, informes, à peine entrevus, mais je les avais devinés, reconnus instantanément. Ils venaient à ma rencontre, ils m’annonçaient la victoire et toute la vie reconquise.

Je coupais l’allumage et plongeais en spirale dans les nuages. Les torpilleurs grossirent. Ils avançaient de front, à toute vapeur vers Cagliari, et ne me voyaient pas. Je n’étais plus qu’à 300 mètres. Ils s’arrêtèrent enfin. Tandis qu’ils faisaient demi-tour, je m’efforçais de remettre mon moteur en marche. Ce fut pénible. J’échappais de justesse à un bain ridicule et repris, poursuivi par mes trois convoyeurs, la route de Bizerte que leurs sillages avaient tracée sur l’eau.